Par Clément GUITET
Dans le cadre des discussions parlementaires portant sur le Projet de Loi de Finances pour l’année 2024 (PLF2024), l’Assemblée Nationale a adopté un amendement présenté le 17 octobre dernier par le Gouvernement visant à exclure du champ d’application du Pacte Dutreil les locations de locaux meublés ou d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation.
Pour rappel le mécanisme dit « Pacte Dutreil » vise l’exonération de 75% de droits de mutation à titre gratuit (donation/succession ou « DMTG ») applicable aux transmissions de sociétés ou d’entreprises individuelles ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (articles 787 B et 787 C du CGI).
Or, la question de savoir si l’activité de location de locaux meublés ou d’établissements commerciaux ou industriels équipés est éligible au régime du Pacte Dutreil a fait trépigner la pratique pendant quelques années, cette activité relevant, d’un point de vue fiscal, de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
La question avait pourtant déjà été tranchée par l’Administration fiscale dans sa doctrine…
Dès le mois d’avril 2021, l’Administration fiscale avait soumis à consultation publique une mise à jour de sa doctrine dans laquelle elle entendait clairement exclure les activités de location meublée et d’établissements commerciaux ou industriels unis du mobilier ou du matériel nécessaires à leur exploitation.
En effet, dans sa version antérieure, la doctrine de l’Administration fiscale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10) précisait que, pour la détermination des activités éligibles à l’exonération des trois quarts, il y avait lieu de se reporter à la réglementation de l’ISF qui reconnaît un caractère commercial à l’ensemble des activités visées par les articles 34 et 35 du CGI, en ce compris « l’activité de loueur en meublé à usage d’habitation exercée à titre habituel, qu’elle soit ou non accompagnée de prestations de services » (renvoi au BOI-PAT-ISF-30-30-10-10). Cette rédaction est demeurée en l’état lors du remplacement de l’ISF par l’IFI et faisait donc référence depuis 2018 à une doctrine élaborée pour l’application d’un texte qui n’a plus cours. La protection attachée à la doctrine avait donc disparu, sans pour autant que l’administration explicite un changement de point de vue.
Ce fut chose faite avec la modification de la doctrine administrative BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 intervenue le 21 décembre 2021 qui a confirmé le changement de position de l’Administration qui considère désormais que :
Seules sont susceptibles d’ouvrir droit à l’exonération les parts ou actions d’une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de nature civile.
Ainsi, pour l'application de l'article 787 B du CGI, sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées à l'article 34 du CGI et à l'article 35 du CGI, à l'exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier.
(...)
Sont en revanche exclues :
- les activités de location de locaux nus, quelle que soit l'affectation des locaux ;
- les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;
- les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ;
- les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles.BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §15
L’absence de « Dutreillabilité » des activités de location meublée et de location d’établissements commerciaux ou industriels équipés semblait dès lors ne plus faire débat et, dès la fin de l’année 2021, les praticiens avertis alertaient leurs clients sur le risque que présentait la mise en place d’un mécanisme Dutreil en présence de telles activités.
…mais le juge de l’impôt a semé le trouble en 2023.
La position administrative n’a en effet pas empêché les contentieux en cours sur le sujet de prospérer et d’amener finalement le juge de l’impôt (qui, rappelons-le, est le juge judiciaire en la matière) à donner son interprétation des dispositions des articles 787 B et 787 C du CGI.
C’est ainsi que, le 1er juin 2023, la Cour de Cassation a contredit l’interprétation de l’Administration fiscale des dispositions de l’article 787 B du CGI en considérant que l’activité de loueur d’établissement commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation (que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d’industrie) qui, sur le fondement de l’article 35 du CGI constitue une activité commerciale est éligible au mécanisme du Pacte Dutreil de l’article 787 B du CGI (Cass. com., 1er juin 2023, n°22-15.152).
Une seconde décision de cette même juridiction, rendue quelques jours plus tard, est également venue semer le trouble chez certains praticiens qui y ont vu une possibilité d’admission par le juge de l’impôt de l’éligibilité au mécanisme Dutreil d’une entreprise individuelle de loueur professionnel de meublés (Cass com., 21 juin 2023, n°21-18.226). Si cette décision portait bien sur un contentieux relatif à l’application de l’exonération des trois quarts à la succession d’une entreprise individuelle de loueur en meublé professionnel, il ne nous semble pour autant pas que la Cour de cassation ait admis l’éligibilité d’une telle activité. En effet, la cour n’était pas amenée à trancher cette question, mais uniquement celle de savoir si l’activité avait été effectivement exercée par le défunt au moment de son décès.
Pour autant, par ces décisions dont la temporalité a pu faire s’interroger certains auteurs, la Cour de cassation venait de relancer la question et même de la trancher en faveur d’une éligibilité des activités qualifiées de commerciales sur le fondement des articles 34 et 35 du CGI (au rang desquelles les activités de loueurs en meublés et d’établissements commerciaux ou industriels équipés).
C’était sans compter sur l’implication du législateur qui est en passe de clore tout débat en consacrant l’inapplication du dispositif Dutreil aux activités de loueurs en meublé et de location d’établissements commerciaux ou industriels équipés.
Suivant l’adoption, en première lecture, du PLF2024 par l’Assemblée Nationale (même s’il est regrettable que cette adoption se soit faite sans débat, par le truchement de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution), le Gouvernement a donc souhaité lever toute ambiguïté quant à l’inéligibilité au mécanisme Dutreil des activités de location meublée de locaux d’habitation et de location d’établissements commerciaux ou industriels équipés en introduisant un article 3 vicies au PLF2024 prévoyant que les articles 787 B et 787 C du CGI sont ainsi modifiés, à compter du 17 octobre 2023 :
Sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d'une sociétéayant une activitédont l’activité principale est industrielle, commerciale, au sens des articles 34 et 35, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès, entre vifs ou, en pleine propriété, à un fonds de pérennité mentionné à l'article 177 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprisessi les conditions suivantes sont réunies :.
Pour l’application du premier alinéa, n’est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale l’exercice par une société d’une activité de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. Est néanmoins considérée comme exerçant une activité commerciale la société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement, exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et auxquelles elle rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.
L’exonération s’applique si les conditions suivantes sont réunies : (…)article 787 B du CGI (modifié par l'article 3 vicies du PLF2024)
Sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, la totalité ou une quote-part indivise de l'ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels affectés à l'exploitation d'une entreprise individuelle ayant une activité dont l’activité principale est industrielle, commerciale, au sens des articles 34 et 35, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion de toute activité de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, transmis par décès ou entre vifs si les conditions suivantes sont réunies : (…)
article 787 C du CGI (modifié par l'article 3 vicies du PLF2024)
Or, si le PLF2024 n’a pas encore été définitivement adopté puisqu’en cours de discussion en première lecture au Sénat, dans son rapport déposé le 21 novembre 2023, la Commission des Finances du Sénat vient d’adopter, sans modification, l’article 3 vicies du PLF2024 (Rapport général fait au nom de la Commission des Finances sur le PLF2024, Tome II, Fasc. 1).
La Commission des Finances du Sénat considère en effet que les clarifications apportées par l’article 3 vicies du PLF2024 aux conditions relatives à l’octroi des exonérations de DMTG sur la transmission des parts ou actions de sociétés et des entreprises individuelles sont conformes à l’intention du législateur de l’époque et à l’esprit de ces dispositifs, dont le principal objectif est d’encourager la transmission des actifs professionnels et le maintien des activités opérationnelles des entreprises.
L'exercice de telles activités [NDLR : les activités de gestion par une entreprise de son propre patrimoine mobilier ou immobilier], à l'instar par exemple de la location de locaux meublés ou d'établissements commerciaux ou industriels munis d'équipements nécessaires à leur exploitation, altère la délimitation qui avait été souhaitée par le législateur entre actifs professionnels, bénéficiant à ce titre d'un régime dérogatoire du droit commun, dans un objectif de préservation du tissu économique, et actifs privés, quel que soit leur mode de gestion.
extrait du rapport général fait au nom de la Commission des Finances du Sénat sur le PLF 2024 déposé le 21 novembre 2023
Même s’il reste l’étape des débats en séance publique devant le Sénat, il nous semble raisonnable de penser que, sauf retournement inattendu, les sénateur ne toucheront que peu voire pas du tout au texte qui leur est ainsi soumis.
Notre associé en charge de la pratique fiscale du cabinet suit de près cette question. Une mise à jour du présent article sera publiée dès la confirmation de la solution définitivement adoptée par le législateur.
L’accompagnement d’un avocat compétent en matière de transmission de patrimoine est indispensable pour mettre en œuvre une transmission réussie, qui peut passer par la revendication de l’exonération partielle Dutreil.
Sa mission consistera à analyser votre situation personnelle et à vous fournir des conseils pour réussir l’opération. De même, il s’occupera de préparer ou revoir la documentation nécessaire et réaliser les démarches auprès de l’administration fiscale, incluant le cas échéant les éléments nécessaires au dispositif Dutreil.
Le cabinet BGA Avocats est susceptible de vous proposer un accompagnement complet dans la transmission de votre entreprise, tant dans ses aspects juridiques que fiscaux, avec ou sans bénéfice du dispositif Dutreil.
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